Sire, c'est affreux ! Les trolls s'organisent !

 J'aime bien traîner dans les tréfonds du web le soir... OK, la nuit. Ma principale activité durant ces instants privilégiés entre l'Homme et la machine, c'est l'alimentation de trolls, ces fameux internautes de l'ombre dont la vocation est de nous engloutir dans des débats stériles. J'aime étaler des lignes de réponses sur des sujets scientifiques à des gens qui ne les liront jamais, ou répondront juste « lol t con ». Mais il arrive parfois qu'un individu, plus proche de mon état d'esprit, me réponde. À ce moment-là, on entre en résonance, chaque réponse faisant un paragraphe de plus que la précédente. La plupart du temps, ces échanges restent très courtois (à part une petite insulte dans le genou de temps en temps, 'faut pas déconner, on est sur l'internet). C'est un exercice d'argumentation et de construction syntaxique facile d'accès.


- Tu viens au lit ?
- Je ne peux pas. C'est important.
- Quoi ?
- Quelqu'un a tort sur l'internet. (xkcd)

 Mais parfois, je tombe dans un piège. Une personne semble s'intéresser au sujet en vigueur, mais pour des raisons plus spirituelles que concrètes. Et au bout de trois ou quatre échanges, quand cet individu arrive à faire dériver le sujet sur l'évolution, sa vraie nature prend le pas. Commence alors le redouté débat scientifique avec un créationniste.


Hasard et finalité

 Définir ces termes que sont le hasard et la finalité va nous permettre de différencier l'attitude scientifique du point de vue religieux.

 Le hasard intervient lorsqu'un évènement se produit spontanément, parce que les conditions le permettent. La finalité induit que l'évènement est une étape permettant de concrétiser un objectif. Cette seconde idée a une sacrée contrainte : l'existence d'un être, une conscience, ayant imaginé cet objectif. L'essence même du raisonnement scientifique est de considérer tout phénomène comme le fruit du hasard.

Que la lumière soit... Je n'ai aucune idée de ce que je fais.

 Sciences et religions ne sont pas antagonistes, elles peuvent même se compléter :
les sciences répondent à « Comment ? »,
la religion répond à « Pourquoi ? ».
Il est normal de chercher à comprendre notre place dans l'Univers. La différence réside dans la formulation de notre question :
« Comment suis-je arrivé ici ? Quels phénomènes ont mené à ma présence ? »
ou
« Pourquoi suis-je ici ? Y a-t-il un but à ma présence, et si oui, lequel ? »

 Ce qu'il faut éviter, c'est de répondre à un « comment » comme si c'était un « pourquoi », et inversement. Quand une personne en recherche de spiritualité se demande si elle a un destin à accomplir, un scientifique serait mal avisé de lui répondre qu'il n'y a pas de finalité, et que cette personne soit en vie ou pas ne change rien. De même, lorsqu'une personne souhaite comprendre ce qui a permis à la Terre de se former, la moins brillante des réponses à lui fournir serait que Dieu l'a faite pour accueillir les Hommes.


La vie sur Terre

 Comment est arrivée la vie ? C'est un sujet très difficile à aborder, le plus difficile étant de se faire une idée concrète du temps que cela a pris. Car c'est cela qu'il faut comprendre : la vie n'est pas apparue d'un claquement de doigts, ça a pris beaucoup de temps.

 Comme je l'expliquais à la fin de l'article sur les mathématiques, notre notion du temps est logarithmique, c'est à dire que notre nature nous empêche de considérer une durée de façon linéaire. Quand on nous dit que la vie est apparue il y a 3,5 milliards d'années, ça ne nous évoque pas grand-chose, c'est juste un gros chiffre. Pour s'en faire une idée, il faut un élément de comparaison.

L'âge de l'Univers est estimé à 13,5 milliards d'années.
La Terre s'est formée il y a 4,5 milliards d'années.
La vie est apparue il y a 3,5 milliards d'années.
Finalement, il a fallu 1 milliard d'années pour que la vie se forme sur ce bouillon de culture qu'était notre jeune Terre, soit un dixième de l'âge de l'Univers à l'époque ! C'est cinq fois plus que ce qui nous sépare de l'apparition du premier dinosaure !

On a dit le premier, pas le dernier, espèce de junkie.

 En un milliard d'années, il peut s'en passer des choses, à l'échelle moléculaire. Et notamment la formation d'acides aminés, molécules complexes et base de toute forme de vie. On ne sait pas encore exactement comment ces molécules sont arrivées sur Terre, cela peut simplement être par séries de réactions chimiques sur la surface de cette Terre encore en ébullition, ou par panspermie : théorie très vraisemblable selon laquelle les comètes qui s'écrasaient sur notre planète en formation renfermaient déjà des acides aminés. Théorie d'autant plus alléchante qu'elle donne libre cours à notre imagination !

 Les premiers de nos ancêtres n'étaient pas franchement Adam et Ève. À vrai dire, on ne pourrait même pas les voir, puisqu'ils n'étaient qu'un agglutinement d'acides aminés immobiles, se « nourrissant » des molécules qui passaient dans le coin. Certains ont commencé à utiliser cette nourriture pour se copier. Puis, toujours par le jeu du hasard, d'autres molécules se sont collées à certains de ces spécimens, formant un flagelle. Il s'est avéré que ceux qui possédaient ce flagelle étaient capables de se déplacer, donc d'avoir accès à plus de matière première que les autres. Il leur était plus facile de se copier. Ainsi est apparu le phénomène qu'on appelle « évolution ».


Le chaînon manquant

 Le créationniste ne manquera pas d'enchaîner sur ce sujet (haha... ha). Je ne vais pas vous faire un historique de la théorie de l'évolution, mais sachez qu'elle a évolué (... ha) depuis Darwin. Au début du XXème siècle, la principale image qu'on avait de l'apparition de l'Homme était la suivante :

http://www.hominides.com/data/images/illus/evolution/evolution-de-l-homme1.jpg
Si vous préférez les hommes velus et musclés, vous êtes coupables d'entrave à l'évolution.
L'avenir, c'est nous, les geeks.

 Fait amusant (ou pas), c'est toujours cette image et ses dérivées humoristiques qui couvrent la plupart des résultats de Google Images en cherchant « évolution ». Le chaînon manquant, c'est un problème soulevé quand les paléontologues se sont mis à la recherche des ossements de nos ancêtres. Bah oui, aucune trace d'un être à mi-chemin entre le chimpanzé et l'Homme, donc aucune preuve que l'Homme descende du chimpanzé ! Et toc !

 Ce qu'il faut savoir, c'est que cette image induit largement en erreur. L'Homme ne descend pas du chimpanzé, l'Homme et le chimpanzé sont de lointains cousins issus d'un même ancêtre.Par conséquent, il est inutile de chercher les restes d'un être qui ressemble au chimpanzé mais avec des caractéristiques humaines. Ce serait comme penser que, si les smartphones et les tablettes ont tous les deux l'ordinateur pour ancêtre, alors les anciens ordinateurs devaient forcément être plats et tactiles.

Et la pièce maîtresse de ce musée de la technologie, voici le tout premier ordinateur.

 Cette fausse idée de l'évolution de l'Homme nous fait aussi croire que celui-ci s'est redressé petit à petit pour réussir à marcher sur deux pattes. Dans le même esprit, beaucoup de gens pensent que les girafes ont un cou allongé pour leur permettre de manger les feuilles des arbres hauts. Cette idée renvoie vers la notion de finalité : les feuilles sont hautes, donc le cou de la girafe s'est allongé dans le but de lui permettre de les manger.

 Grosse erreur ! Il s'agit, encore et toujours, du fruit du hasard. À une certaine époque, l'ancêtre de la girafe avait un cou beaucoup plus court. Des mutations se produisaient souvent, la plupart étaient néfastes et causaient des cancers ou des malformations, mais une certaine mutation a donné naissance à un bébé avec un cou légèrement plus long... Et c'était hyper pratique pour bouffer les feuilles ! Il s'est reproduit, ses descendants étaient plus aptes à survivre que les autres grâce à cet avantage, et ainsi sont apparues les girafes qu'on connait. Les autres individus ne sont pas tous disparus, certains qui n'ont pas hérité du long cou ont développé d'autres aptitudes à la survie comme un pelage zébré, et on peut encore voir aujourd'hui ce cousin éloigné de la girafe qu'est l'okapi.

Bon, ça va, on va le retrouver ton collier !

L'Homme n'est pas devenu bipède parce que c'est plus pratique. Simplement, certaines mutations ont déplacé l'axe de sa colonne vertébrale vers le bas de son crâne. S'il ne s'était agi que de la bipédie, l'Homme aurait tout simplement disparu, puisqu'il était moins adroit, plus lent et plus vulnérable que ses confrères quadripèdes. Mais cette mutation avait aussi des avantages : le changement d'axe de la colonne vertébrale sur le crâne a modifié la structure du cerveau en lui donnant plus de place, et nous a offert une intelligence suffisamment aiguisée pour survivre et grimper les échelons de la chaîne alimentaire.

 Sources :
La science à l'usage des non-scientifiques d'Albert Jacquard, aux éditions Calman-Lévy,
Hominidés.com,
L'ADN peut survivre dans l'espace, article très intéressant sur une expérience en faveur de la théorie de panspermie.
Enfin, je vous conseille vivement de regarder cette vidéo de la chaîne Motorsport Gigantoraptor pour mieux comprendre le faux problème du chaînon manquant, et pour lui faire la publicité que ce jeune homme mérite !

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