Les racines carrées, c'est bien joli mais ça sert à quoi ? (2)

Décidé à reprendre ce blog, je fais un tour sur les statistiques pour remarquer que la plupart des visites concernent l'article sur les mathématiques. Logiquement, des gens tombent dessus en cherchant "racines carrées à quoi ça sert" sur leurs moteurs de recherche. Et, là, horreur ! Je me rends compte que je n'ai absolument pas parlé des racines carrées dans l'intégralité de l'article ! Une personne cherche l'utilité des racines carrées, trouve un article qui prétend l'expliquer dans son titre, et découvre finalement qu'elle a perdu dix minutes de sa vie à apprendre l'utilité des fonctions à deux inconnues et des logarithmes, et à lire une bouillie sur les dérivées dont je suis peu fier.


Cette fois, ne vous inquiétez pas. Je m'engage solennellement à respecter à la lettre la prétention du titre. Et on entame tout de suite avec...


Le raisonnement logique !

Albert Jacquard (encore lui!) disait :
« [...] avant d'exprimer ou de discuter des idées, il faut apprendre le jeu du raisonnement. »

Commentaire capturé sur une vidéo de la fabuleuse chaîne d'e-penser

Je n'ai rien contre l'auteur de ce commentaire, et ce que je vais dire ne lui est pas adressé directement. Seulement, la formulation employée ici est exemplaire de ce que je souhaite illustrer : l'utilisation approximative d'un langage scientifique. Quand on pose une question, si celle-ci n'est pas bien construite, les chances d'obtenir une réponse satisfaisante sont très minces. Cette personne effectue plusieurs raisonnements les uns après les autres dans une seule et même phrase, pour enfin demander si tout est vrai ou faux. À vue de nez, pour lui répondre, je dirais qu'il faudrait au moins 20 bonnes minutes, un crayon et du papier. On va voir pourquoi répondre à cette question est aussi délicat.

Le raisonnement logique permet d'exprimer une idée de façon précise. C'est aussi simple qu'une addition ! En fait, c'est une addition avec des idées à la place des nombres. Prenez deux phrases, qu'on appellera les postulats P₁ et P₂ (que vous savez vrais, qui le sont universellement et que votre interlocuteur considérera lui aussi forcément comme vrais), comme ceux-ci :

P₁ : « Chaque crayon de cette boîte est d'une couleur différente. »
P₂ : « J'ai sorti un crayon jaune de cette boîte. »
On peut alors exprimer le postulat P₃ : « Il n'y a plus de crayon jaune dans cette boîte. »
Il s'agit d'une addition : P₁+P₂=P₃

Dans le langage courant, l'expression du + devient « et » et l'expression du = devient « donc ». La formule littéraire s'exprime ainsi :
P₄ : « Chaque crayon de cette boîte est d'une couleur différente et j'ai sorti un crayon jaune de cette boîte, donc il n'y a plus de crayon jaune dans cette boîte. »
  
L'importance des symboles. 

Apprenez-les par cœur.

Un problème se pose alors : l'utilisation du = dans ma formule. L'égalité, ça signifie l'équivalence des deux côtés, peu importe le sens. Or, là, le sens est très important. On ne peut pas dire :
« Il n'y a plus de crayon jaune dans cette boîte, donc chaque crayon est d'une couleur différente et j'ai sorti un crayon jaune. »
Cette phrase est complètement fausse, puisque quelqu'un d'autre aurait pu prendre le crayon jaune ou, tout simplement, il pourrait n'y avoir que des crayons gris dans la boîte.

On va devoir utiliser une notation qui donne un sens à notre équivalence.
  • et : il s'appelle « et logique », il signifie que les deux affirmations doivent être vraies pour que le postulat le soit. ex : Dans le postulat P₄, s'il s'avère que l'affirmation « j'ai sorti un crayon jaune » est fausse, alors ce qui suit le donc est faux.
  • => : ce symbole se traduit par « implique que », il signifie que le terme à gauche implique le terme à droite, mais pas l'inverse. ex : « cette forme est un carré » => « cette forme est un rectangle » car si c'est vrai que la forme est carrée, alors elle est forcément rectangulaire. C'est ce qui donne le sens du raisonnement.
  • <=> : ceci représente cette fois l'« égalité ». Chaque affirmation vraie d'un côté implique que l'autre soit aussi vraie. En mathématiques, vous avez sans doute employé une expression qui en est synonyme : « si et seulement si ». C'est le symbole parfait pour formuler une lapalissade. ex : « il n'est pas mort » <=> « il est encore en vie ».
  • ou : voilà un nouveau terme, le « ou logique ». Son fonctionnement est similaire à celui du « et logique », et il signifie que si au moins l'une des deux affirmations est vraie, alors le postulat entier est vrai. ex : « j'ai plein de choses à faire » ou « j'ai très mal au ventre » donc « je ne peux pas faire la vaisselle, ma chérie ».
  • non : ce terme, précédant une affirmation, indique tout simplement que si l'affirmation est fausse, alors le postulat est vrai. C'est l'équivalent de la négation dans le langage courant. ex : non(« il est l'heure de partir ») donc « je peux dormir encore un peu » se traduisant par : « il n'est pas l'heure de partir donc je peux dormir encore un peu ». (Attention, ce raisonnement logique contient un piège.)

Alors au bouleau !

Ouais, pardon, boulot. Ça va, hein, je ne me trompe pas souvent !

Allons-y pour une petite mise en pratique. On va y aller mollo pour un premier exercice :
  • on veut aller dans une crêperie
  • si vous n'avez pas assez de sous, alors je vous offre le repas.
  • j'ai assez de monnaie pour tout payer, ou je paie en tickets resto.
Dur à formuler en une seule phrase, tout ça. Eh bien, en logique, c'est plutôt évident, regardez :
« (vous avez assez de sous ou je vous l'offre) et (j'ai assez de sous ou je paie en tickets) => on peut aller à la crêperie. »
Ainsi, soit vous avez assez de sous, soit je vous l'offre. Si l'une de ces phrases est vraie, passons à l'affirmation suivante. Soit j'ai assez de sous, soit je peux payer en tickets resto. Si l'une de ces phrases est vraie aussi, alors on peut aller à la crêperie. En revanche, si aucune phrase n'est vraie dans la première parenthèse (vous n'avez pas assez de sous et je ne vous offre pas le repas), peu importe le nombre de phrases vraies dans la deuxième, on n'ira pas à la crêperie.

Vous l'avez bien méritée, saligauds.

Le deuxième exercice est adressé à ceux qui souhaitent aller plus loin dans le raisonnement mathématique ; on va donc corser un peu les choses.

Les années bissextiles se calculent de la façon suivante :
  • si l'année est un multiple de 400, elle est forcément bissextile.
  • si l'année est multiple de 100 mais pas de 400, elle n'est pas bissextile.
  • si l'année est multiple de 4 mais pas de 100, elle est bissextile.
Par exemple, 2016 est bissextile car c'est un multiple de 4.
2100 est aussi un multiple de 4, pourtant elle n'est pas bissextile car c'est aussi un multiple de 100.
2000 était bissextile, alors que c'était un multiple de 100, mais aussi un multiple de 400.

Oui, c'est compliqué, et oui, c'est pour ça que j'ai pris cet exemple. Prenez bien le temps de relire pour tout comprendre. En logique, on peut exprimer ce problème ainsi :

« L'année est (multiple de 4 et non(multiple de 100)) ou multiple de 400 <=> l'année est bissextile. »
On va décortiquer un peu : si l'année est multiple de 4 mais pas de 100, alors elle est bissextile. Ou, si l'année est multiple de 400, alors elle est bissextile même si la première affirmation est fausse (puisqu'elle sera forcément multiple de 100).

Attention, zone glissante.


Maintenant, on va reprendre le commentaire du début, que j'ai réécrit sans en altérer le sens pour vraiment cerner le cheminement :

La lumière et le son sont des ondes, une onde est une vibration, donc si on fait vibrer un objet, on peut créer de la lumière et du son, donc avec du son on peut créer de la lumière.
Vrai ou faux ?
 On transforme ça en formule logique.

(lumière et son <=> ondes) et (ondes <=> vibrations) => (vibrations => lumière et son) => (son => lumière)

Le début semble correct d'un point de vue purement logique (on ne va pas s'étendre sur la physique), mais à partir de la troisième parenthèse ça se complique. On a vu l'importance du sens, et déjà une égalité s'est transformée en implication. Avec autant d'implications sans aucun « ou logique », on peut sans trop de risques affirmer que tout le postulat est faux, puisqu'il suffit pour cela qu'un seul des termes soit faux. Par exemple, on ne peut pas dire : « si on peut créer du son et de la lumière avec des vibrations, alors on peut créer de la lumière avec du son ». Le commentaire est construit sur cette erreur de logique qui nous semble évidente après l'avoir passée en formule.

Bien sûr, ce n'était qu'une question, mais la question a justement tout son intérêt car c'est d'elle que dépend la réponse. Si je lui réponds simplement que c'est faux, car l'une de ses affirmations n'implique pas forcément la suivante, j'aurais donné une réponse correcte à sa question mais certainement pas celle qu'il attendait. Pour répondre ce qu'il attend, il faut répondre à cette simple question : « Peut-on créer de la lumière avec du son, et pourquoi ? »

Étonnamment, oui, on peut créer de la lumière avec du son. Tout simplement parce que le son est une oscillation de particules, et toute particule en déplacement non uniforme dégage de l'énergie sous forme de photons. Après, pour voir notre ampli s'illuminer pendant notre riff légendaire, il va falloir un paquet de watts...

Conclusion

Pour les racines carrées, on verra une autre fois.



Sources :
La science à l'usage des non-scientifiques d'Albert Jacquard, aux éditions Calmann-Lévy,
Les cours de mathématiques d'Exo7 publiés par les enseignants de l'université Lille 1,
Article inspiré de la super bande dessinée sur le mathématicien Bertrand Russell, Logicomix, aux éditions Vuibert.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Le premier exemple, nickel, j'ai alors pensé que ça y était, j'étais devenue intelligente, mais bon, après, je me suis profondément déçue!

Belore Stergann a dit…

Le deuxième exemple est plutôt destiné à ceux qui sont déjà à l'aise avec les données chiffrées, et qui souhaitent pousser un peu plus dans le raisonnement mathématique ! D'ailleurs, je m'empresse de le préciser dans l'article.
Comprendre le premier exemple montre déjà que la notion est acquise.

Belore Stergann a dit…

Mise à jour : j'ai retiré la notion de modulo dans le deuxième exemple, trop difficile pour le niveau général de l'article.

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